Cinquième troisième lien : toujours deux pour un
Je n’aspirais pas à devenir un geek du troisième lien.
J’ai juste toujours trouvé ça incroyable.
Une campagne de promotion des radios-poubelles devenue une histoire, une légende, un mythe. Des autocollants et des sondages téléguidés, un lieu commun de la discussion publique sans cesse rabâché, devenu un objet politique.
On a fini par y croire.
Un parti politique municipal, Québec 21, né exclusivement pour en faire la promotion. Un chef d’une indigence intellectuelle qu’on ne retrouve que dans la caricature littéraire. Six mois après sa fondation, en 2017, le parti a récolté 27% des voix, fait élire deux conseillers et a formé l’opposition officielle. Des politiciens ont vu là l’occasion d’avoir de la visibilité et des votes - Lehouillier à Lévis, la CAQ à Québec, les conservateurs au fédéral.
Ils en avaient fait une promesse, ils étaient pognés pour le faire !
C’était drôle et absurde, j’en ai tenu la chronique un temps, j’ai tenté d’en analyser la portée narrative et symbolique, j’ai dit que j’allais faire un livre sur le troisième lien, après une soixantaine de pages j’ai fini par me dire que ça me tentait pas d’en écrire plus et que je voyais mal des lecteurs authentiquement passionnés par un fucking lien routier, résultat le livre parle de plein d’affaires qui ont pas rapport - le costco, netflix, le travail salarié, le monde littéraire et universitaire…
Ça s’appelle Ils mangent dans leurs chars. Chroniques du troisième lien et de la fin du monde, et c’est en librairie si vous l’avez pas déjà.
La critique n’a parlé que du troisième lien.
Je pense qu’on a fini par aimer cette histoire, qu’on n’est plus capable de décrocher, qu’elle fait partie de nous. C’est un feuilleton qui ne finit pas, une sitcom, c’est drôle et léger, ça parle de nos petites misères - le trafic automobile - qui nous fait oublier les grandes - la crise écologique. Ça revient ponctuellement dans l’actualité, c’est pas grave si on a sauté un épisode ou deux, on reprend avec les mêmes personnages et les mêmes ressorts narratifs et il y a juste les vrais mordus qui savent que le projet présenté aujourd’hui est la cinquième mouture du troisième lien jusqu’à maintenant, mais c’est pas grave parce que c’est toujours drôle.
Genre après le pont sur l'île, puis le tunnel en dessous de l'île, puis le tunnel qui aboutit dans Saint-Roch, puis le tunnel monotube à six voies qui aboutit à expocité, voici le tunnel bitube avec une voie de moins qui aboutit à la même place.
Un bitube !
Bitube.
Bitube.
Bitube.
Je suis pas prêt de me tanner de dire bitube !
D’ailleurs, il y a une autre blague cachée dans cette infographie. « Centre-ville à centre-ville », c’est quand même drôle quand on regarde le tracé éventuel qui part d’une terre agricole sur la rive-sud pour aboutir à expocité, ce qui est proche d’absolument rien sinon de l’amphithéâtre construit pour le retour des Nordiques d’après une autre campagne de promotion des radios-poubelles et qui prouve que nos rêves peuvent se réaliser quand on y croit très fort.
Ou pas ?
Paraît que deux petits c’est moins qu’un gros, mais en tout cas c’est toujours aussi absurdement long - 8.3 kilomètres dans un tunnel, bonjour l’angoisse. Paraît que c’est aussi moins cher, faque on est sûr que ceux qui rechignaient à cracher dix milliards de dollars pour cette lubie vont être vraiment contents d’en payer seulement sept.
Enfin, si l’inflation reste pas à 5% pendant trop longtemps, han.
Aussi, la dernière fois qu’on a vérifié, il n’y avait aucune entreprise québécoise capable de fournir l’expertise pour le construire. Le journal de Québec y avait bien trouvé une compagnie allemande qui pouvait produire ce qui devait alors être le plus gros tunnelier du monde - pour relier Lévis à Québec, on le rappelle à titre de charité - mais on les entendait penser à toutes les lignes c’est où ça c’est qui eux autres y vont-tu nous payer srsly wtf !?!
Aussi, ça nous rappelle qu’il n’y a toujours pas d’études de besoin prouvant la nécessité du troisième lien, mais on s’accordera pour dire que rendu ici dans l’aventure, c’est un détail pas mal secondaire. Le gouvernement a quand même tenté de le justifier en produisant, au lieu d’une enquête origine-destination (il y en a une, mais elle ne dit pas ce qu’on veut qu’elle dise) ou de prévisions démographiques, des statistiques de ponts par million, ce qui est aussi très drôle.
Ponts par million.
Ponts par million.
Ponts par million.
Des PPM. Comme les particules par millions, l’unité de mesure pour compter la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Genre, à l’époque pré-industrielle, on était à 250 molécules de dioxyde de carbone sur un million de molécules d'air ; on estime le niveau sécuritaire de CO2 dans une zone entre 350 et 400 ppm. Nous sommes présentement à 420 ppm, ce qui fait brûler les forêts, fondre les calottes, blanchir le corail et capoter ben raide les scientifiques et du monde ordinaire comme moi. Si on ne change rien, genre qu’on autorise des forages en mer au large de Terre-Neuve et qu’on mise sur l’automobile en construisant des tunnels pour faire passer des chars en dessous du Saint-Laurent, pour prendre des exemples au hasard, on sera rendu à 685 ppm en 2050.
On va être absolument, totalement, brutalement fucking toastés.
Asphyxiés.
Bon, je recommence à être pas drôle.
Ponts par millions qu’on disait.
Voyons plutôt.
On voit tout de suite que Montréal a plus de ponts par millions que Québec, et contre qui jouaient les Nordiques, han ? C’est ça qu'on disait, faut battre Montréal.
Ceux qui font remarquer que Montréal est une île et que, comment dire, ça prend des ponts, barrez-vous, vous êtes des pas drôles. Pareil pour ceux qui trouvent que l’argument se mord la queue.
Par contre, la signature « votre gouvernement » est très drôle.
Il est pas à moi !
Je vous le redonne !
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Marketplace, maybe ?
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Aussi, en plus de la bonne vieille rivalité Québec-Montréal qui va faire les délices de la radio de la capitale à défaut d’équipe de hockey, on note qu’on enlève la voie réservée au transport en commun, condition sine qua non pour une éventuel financement fédéral à qui la CAQ demandait 40% du financement, ce qui aura l’heur de repartir une chicane Québec-Ottawa et de poursuivre le feuilleton pour quelque épisodes de plus. Est-ce que François Legault va encore écrire à Justin Trudeau à l’aube de la prochaine campagne électorale ?
Na, en fait, ce qui est vraiment drôle, ce qui fait qu’on se tanne pas de la saga du troisième lien, ce qui en fait un divertissement inoffensif en dépit de son potentiel de nuisance, c’est la désinvolture complète avec laquelle le gouvernement traite le sujet. Il n’y a aucun sérieux là-dedans, comme en témoigne le fait qu’il ne s’est absolument rien passé dans les quatre années du régime caquiste, en dépit du fait que François Bonnardel assurait qu’il se donnerait un « premier coup de pelle » dans un premier mandat, à tel point que Éric Caire promettait de mettre son siège en jeu sur cette question.
Ou juste ceci.
Ceci.
qui est, comment dire, différent de ceci
C’est même pas la plus drôle de la journée, quand on on considère que le matin même, le ministère de la santé publiait un tweet dont le lien menait vers porhub (!), ce qui sème l’idée qu’il y a vraiment beaucoup de talent informatique au gouvernement et que ça donne totalement confiance en la sûreté de nos données quand on sait qu’Éric Caire en est le ministre responsable (ton siège, Éric !), mais il faut féliciter Le journal de Québec d’avoir relevé la bourde. L’article précisait : « le ministère des Transports a plaidé l'erreur de manipulation graphique, puis a transmis une version corrigée au Journal. » Voyons plutôt.
Bon, ça semble pas TANT corrigé que ça en ce qu’il reste de bons écarts entre les bâtiments, que le Hilton est pas à la bonne place et que le graphiste a pas l’air de trop savoir si le soleil se lève ou se couche ni où, mais il en va des infographies du troisième lien comme du troisième lien lui-même : après cinq tentatives, on devrait arriver à de quoi.
On a déjà hâte à la saison six.