Le Parti Conservateur d'Éric Duhaime est d'extrême-droite.
Une semaine après le déclenchement de la campagne électorale, alors que le commentariat médiatique commençait à s’énerver avec les menaces de violences envers différents élus, et semblait découvrir seulement alors la nature véritable d’Éric Duhaime et de son nid de coucous, l’éditeur adjoint de La Presse, François Cardinal, se senti obligé d’intervenir pour justifier la manière dont son journal couvrait et qualifiait ce parti. Après avoir examiné grossièrement certaines de ses caractéristiques, il en arrive à cette plate conclusion : le Parti Conservateur du Québec n’est pas d’extrême-droite.
Il a tort.
Avant d’entamer son programme principal, l’éditeur adjoint, suivant un principe fermement ancré dans le discours bourgeois selon lequel l’autre côté du spectre ne serait pas exempt des reproches que l’on s’apprête à faire, va voir du côté des wokes et fait part des tiraillements qui sont les siens quand vient le temps d’accorder ses participes passés alors qu’il parle d’une personne non-binaire, et de la longueur à laquelle il est correct de raccourcir le sigle 2ELGBTQI+. Un peu plus loin, il pousse le principe d’équivalence jusqu’à se demander si Québec Solidaire ne serait pas d’extrême-gauche, pour répondre prudemment par la négative. On lui confirme que QS est devenu un parti de messieurs plattes et sérieux dont le principal souci semble de bien paraître aux yeux des éditeurs-adjoints de la presse bourgeoise, mais ce n’est pas ça le problème qui nous occupe.
C’est que le PCQ d’Éric Duhaime est d’extrême-droite.
Une telle étiquette cause des problèmes à l’éditeur adjoint, parce que, dit-il, c’est lui accoler des casseroles : « xénophobie et racisme, haine et violence, hostilité à l’endroit des immigrants, volonté de s’attaquer à l’État. » La coalition Sortons les radios-poubelles, un peu mieux informée, n’a pourtant pas eu de difficulté à retracer des extraits d’émissions, à l’époque où Duhaime était animateur, où il a déjà suggéré d’appliquer un droit de vote proportionnel à l’impôt payé, selon le principe une piastre = un vote, et ainsi de supprimer leur droit aux pauvres qui n’en paient pas ; que les locataires ont trop de pouvoir et que les personnes âgées ont moins de valeur ; que les immigrants devraient être choisis selon leur « compatibilité civilisationnelle » ; et que l’éducation et les hôpitaux ne sont pas des droits.
Rappelons également que Duhaime a déjà suggéré que la mort du jeune Aylan Curdi, ce petit réfugié syrien de deux ans retrouvé sur une plage, était une mise en scène ; que la grande prévalence de la covid au Québec était dûe aux réfugiés du chemin Roxham ; que la tête de cochon déposée à la mosquée de Québec n’était pas un acte raciste, mais une bonne blague ; que le tueur de la même mosquée était un prisonnier politique ; que les femmes agressées dans les résidences de l’université avaient juste à barrer leurs portes. Plus vulgairement, il était copain-copain avec La Meute, a justifié à plusieurs reprises l’organisation néonazie Atalante, et s’est déjà extasié sur le « miracle chilien » d’Augusto Pinochet.
Toutes les cases de Cardinal sont cochées.
Ces propos ne sont pas des dérapages ou des citations hors-contexte. C’est un modus operandi de base de l’extrême-droite que d’élargir le spectre de ses possibles en proférant des énormités - genre quand, dans un autre journal dit sérieux, un chroniqueur compare les immigrants à des poissons avariés, et ne se fait pas démettre de ses fonctions par la suite. Pareil pour la relation équivoque à la vérité, dont les fascistes contemporains n'ont rien à faire. C’est naturellement que les conspirationnistes, qui se reconnaissent entre eux sur la base du fait qu’ils disent radicalement n’importe quoi, se retrouvent au PCQ ; alors qu’il était animateur radio, Duhaime disait au Devoir : « Ça m’arrive de me dire que je suis allé trop loin, que je me suis trompé. Et le lendemain, je dis le contraire. C’est ça qui est agréable quand t’as un micro : tu peux te contredire, tu peux tout faire. »
Il vaut par ailleurs la peine d’insister sur l’argent qui finance et encourage Duhaime. Il profite de son Fox News local en CHOI Radio X à Québec, qui vit à travers lui une forme de rédemption après deux ans de pandémie à se peinturer dans le coin. La radio-poubelle lui a offert une tribune quasi-quotidienne avant de faire campagne ouvertement en sa faveur, animant même ses événements militants. Au mois de mars, on a vu par ailleurs qu’une compagnie pétrolière payait des sondages et lui coulait les résultats, au point où il a eu la maladresse de les dévoiler en premier. Il y a une économie circulaire entre les pétrolières et les concessionnaires automobiles qui financent des radios qui font l’apologie de la culture du char et du troisième lien, et les partis politiques et qui demandent qu’on les lâche sur les gaz à effet de serre ou, dans le cas qui nous occupe, se proposent même de les augmenter. Pour les curieux, cette relation étroite entre climatonégationnisme, pétro-capitalisme et extrême-droite est exposée notamment dans l’ouvrage Fascisme fossile aux éditions La Fabrique.
Quant à ses candidatures, ça s’est passé comme prévu. Sans parler de sa candidate vedette qui a notoirement qualifié les vaccins de « marde », l’un a comparé les non-vaccinés aux juifs dans l’Allemagne hitlérienne, un autre a comparé Legault à Poutine et Kim Jong-Un, cinq d’entre eux ont contribué au financement du convoi de trucks qui a paralysé Ottawa, un gestionnaire de réseau sociaux a qualifié son député sortant « d’ennemi », et comme la limite que Duhaime impose à ses candidatures est simplement de ne « pas faire appel à la violence », ce qui est, comment dire, mettre la barre extrêmement bas, il a dû se départir de celle de Saint-Jérôme qui parlait de « plandémie » et suggérait que plusieurs personnes « devraient se faire tirer », mais il a tout de même gardé celui qui comparait la vaccination au viol et prônait le recours aux armes pour renverser le gouvernement, parce que, disait-il, c’était de l’humour. C’est à un point tel que des messieurs sérieux comme Régis Labeaume ou le Journal les Affaires appellent Duhaime à contrôler ses troupes et partisans.
C’est parce que c’est lui le problème.
Cardinal base sa définition de l’extrême-droite sur ses finalités, et comme il ne les voit pas écrites noir sur blanc dans le programme du parti, il en conclut que ses caractéristiques ne sont pas rencontrées. Le problème c’est que l’extrême-droite n’a pas besoin de renverser le régime pour exister : elle est parfaitement contente dans l’espace qu’elle se ménage ici et maintenant, et qui s’agrandit. Son but principal est d'exercer un pouvoir et une violence, et ça se passe très bien pour elle en ligne et dans la rue. Dans les cercles qui sont les siens, elle a normalisé le harcèlement sur les réseaux dits sociaux, a légitimé le racisme anti-musulman et anti-noir, et a contaminé le discours conservateur en y gagnant au passage une forme de respectabilité. On a vu des saluts et drapeaux nazis dans des manifestations, une tête de noeud a cassé la gueule d’un gars random dans un bar juste pour se prouver à sa gang, des milliers de leurs petits soldats ont écoeuré les travailleurs des services essentiels pendant leurs manifs contre les mesures sanitaires et ont invectivé les femmes musulmanes sur la place publique quand leur principal schtick c’était d’être raciste. Quand cette violence va finir par se rendre à Cardinal, il va être crissement trop tard pour les débats sémantiques.
Cardinal, à titre d’éditeur adjoint de La Presse, parle du point de vue de l’institution et de la démocratie libérale. Tant que l’extrême-droite ne les menace pas - pas encore - il ne se sent pas inquiet. Duhaime et sa bande de nazes sont encore loin de son cercle, et il peut se permettre de plutôt les qualifier de libertariens ou de populistes, exactement ce pour quoi ils veulent se faire passer. L’éditeur adjoint eut été mieux avisé de regarder ce qu’il s’est passé au sud, car manifestement Duhaime s’inspire du manuel trumpiste. Quand l’agent orange a pris la tête du parti républicain, toute la presse américaine s’est demandé s’il y avait là une forme de fascisme, et sa seule ressource fut de le comparer aux régimes historiques des temps passés pour en conclure que non, Trump était quand même correct. Après l’alt-right est sortie d’internet aux chants de blood and soil, les Proud Boys et le Ku Kux Klan étaient salués par le président, le terrorisme d’extrême-droite est devenu la principale menace domestique, et le régime a culminé dans les événements du six janvier 2021, où la foule aurait pendu le vice-président si elle l’avait trouvé. Aujourd’hui il y a un vaste pan de ce parti qui nie le résultat de la dernière élection, par conviction ou par opportunisme, et toute la presse bourgeoise considère l’hypothèse très réelle que la présidentielle de 2024 soit renversée, et que, de manière générale, la démocratie américaine est menacée.
C’était pourtant pas écrit dans le programme.
Personne n’a vraiment peur que le parti conservateur instaure ses chemises brunes et abolisse la démocratie représentative une fois au pouvoir ; mais il aura fait suffisamment de dommages en s’y rendant qu’elle s’en trouvera affaiblie pour la suite des choses, et elle aura rendue la vie en société moins bonne avec ses violences verbales, ses attaques contre les femmes et les minorités, sa suspicion contre les consensus scientifiques, sa politique du pire.
Éric Duhaime est un enabler. Il dit qu’il « canalise l’énergie négative », mais concrètement il la cautionne et lui offre un nouvel espace pour s’exprimer et grandir. Il joue explicitement avec la menace que son fan base représente en disant que « s’il n’était pas là, ce serait bien pire », que son parti n’a pas besoin de garde du corps, même chose quand il prend soin d’être le dernier à condamner les menaces après s’être fait ostensiblement tirer l’oreille. Il est le seul chef qui se sent le besoin de dire qu’il atteindra ses buts de manière « pacifique », une précision qui serait totalement incongrue de la part de n’importe lequel de ses adversaires.
Aussi, encore une fois, comme le démontre la totalité des « missions » que les entreprises capitalistes écrivent pour faire écran à leurs activités réelles, pour déterminer la véritable nature d’une organisation, il est moins avisé de s’en tenir à ses communications publiques que de s’en remettre à ce qu’elle est et ce qu’elle fait.
Le PCQ d’Éric Duhaime est d’extrême-droite.