A friend came around
Tried to clean up this town
His ideas made some people mad
But he trusted his crowd
So he spoke right out loud
And they lost the best friend they had
(Gram Parsons - Sin city)
1.
C'est un livre contre le travail.
C’était le projet original, un livre contre la frénésie de nos existences dans le monde administré, sur les pathologies contemporaines que sont l’anxiété, la dépression et le surmenage, sur le paradoxe de notre souci pour la santé mentale et la valorisation du fait d'être occupé tout le temps, sur le renvoi dans la sphère individuelle de problèmes qui relèvent du collectif. Le livre est ponctué de réflexion sur le workaholisme, de références aux bullshit jobs de David Graeber ou aux Cuivas de l’Amazonie qui passaient 14 heures par jour dans leur hamac, en trouvant le mode de vie des colons incompréhensible.
Et l’autrice s’est pris comme cas d’exemple.
Une artiste pitchée dans le monde politique.
Où tout le monde se valorise par le travail.
Un travail qui tourne à vide en grande partie.
Et évidemment, ils ont pas aimé ça, dans le milieu, qu’elle dise que l’ultime bullshit job, c’est celle de député, alors qu’il est notoire qu’ils perdent essentiellement leur temps à jouer en chambre le mauvais théâtre que leur écrivent leurs recherchistes, à voter sur des motions qui servent juste à prendre la pose dans les médias, à ressasser des lignes de comms à des journalistes qui essaient de les faire buter dessus, qu’il est en fait courant que les députés d’opposition déplorent ne servir à rien dans un gouvernement à double majorité, et que même les députés du pouvoir se plaignent de faire la plante verte.
Ils ont eux-mêmes abandonné sur l’institution. Ils se rabattent sur le travail de circonscription pour donner un sens à leur fonction.
Faque ouin, des fois il arrive qu’on fasse adopter un amendement, ou dépose un projet de loi, voire que la partisanerie se tasse au profit du bien commun, mais le fait qu’on revienne sempiternellement sur l’exemple de Véronique Hivon et de l’aide médicale à mourir montre à quel point le phénomène est exceptionnel, et pour ce cas unique, combien de motions avortées, combien de projet de lois non appelés, combien de lois adoptées sous le bâillon, combien de politiques soumises aux humeurs d’une poignée de monsieurs qui concentrent à peu près tout le pouvoir, pis qui l’aimaient pas le tramway, bon ?
Pourquoi, s’ils sont si utiles et efficaces, dans mes 40 années de vie, ils ne sont pas venus à boutte de l’évasion fiscale, de la transition énergétique, de désengorger les urgences, de mettre des profs dans les salles de classe, d’ouvrir des places en garderie ? Pourquoi, malgré leur travail acharné, rien ne change ? Pourquoi j’ai l’impression qu’en fait c’est pire qu’avant ? Parce que l’occupation principale - vraiment frénétique celle-là - des députés, c’est de freaker sur le cirque médiatique et de quoi ils vont avoir l’air dedans, de buzzer sur leur téléphone avec l'anxiété dans le piton.
Il y en a qui ont une grosse semaine de ce côté-là.
2.
Les analystes et chroniqueurs politiques devraient cesser de faire ce qu’ils font. Ces gens-là n’aiment pas ce qu’il y a de politique dans la politique. La seule chose qui les intéresse, ce sont les sondages, les games de pouvoir, les jeux de coulisse, les positions, les potentielles contradictions dans le discours, les chefs, les chiffres, les chances de gagner, les scores à la fin. Ils en parlent comme on parle de sport sur les chaînes câblées. Ils semblent avoir parfaitement intégré l’idée de Frank Zappa selon laquelle la politique est la division divertissement du complexe militaro-industriel.
Dans des termes bourdivins, on les dirait partie prenante du champ politique. Ils en font partie au même titre que les élus et leurs spins doctors, et revêtent ce rôle supplémentaire de gardiens de l’illusio, c'est-à-dire cette croyance en la valeur du jeu auquel ils participent. Ils en réitèrent les règles chaque fois qu’ils parlent, et sont là pour reconnaître les leurs et s’assurer qu’il n’y ait pas de gens du commun qui passent dans le maillage. Peut-on imaginer à quel point l’apparition de Catherine leur fut une aubaine ?
La ligne de coke ! Le coton ouaté ! La photo d’Halloween ! Maipoils !
Il y a un fétichisme de la déclaration dans le journalisme politique, qui appartient à un curieux registre entre le performatif et le non-performatif. C’est à dire que la parole est engageante mais n’engage à rien, c’est un matériau, un objet à la fois concret et abstrait, dont la principale fonction est de pouvoir être retenue contre son émetteur, et cela va de concert avec le fait paradoxal qu’il est convenu que les politiciens ne font rien (voir plus haut) et conséquemment la politique est strictement un jeu de parole, et le journaliste est donc là pour avoir des citations dans un article qu’il a déjà écrit dans sa tête et qu’il va remplir comme une dictée trouée.
Et donc il ne faut pas s’étonner que l’essentiel de la réception du livre tourne autour des quelques passages qui parlent du parti ou des porte-paroles, parce que ce sont les personnages de la télé-réalité que tout le monde connaît, et que les médias savaient qu’ils auraient du clic et de la matière à alimenter leur semaine. Mais outre que le sujet principal du livre leur a passé vingt pieds par-dessus la tête, le fait qu’ils aient oblitérés leur propre rôle, central, dans son essai, est spectaculaire.
Le livre est essentiellement ça : le récit d’une députée hors-norme qu’on a tenté de mettre en boîte, en lui reprochant son linge, sa parlure, son char, à un certain moment on critiquait même ses likes, tout ça dans le seul but de générer de l’auditoire. Avec comme outrage suprême de lui reprocher l’attention qu’on lui donnait, alors que dans plusieurs passages, on la voit dire qu’elle ne voulait que se cacher. Auquel cas, d’ailleurs, on lui reprochait ça aussi.
Mais va expliquer ça à Isabelle Hachey.
3.
Le suffixe -punk, dans la science-fiction, ne désigne pas le mouvement contre-culturel ou les personnes qui s’en réclament, mais l’état d’une société déliquescente, en proie à la corruption et la violence, dont les institutions se désagrègent, et dans lesquels les personnages tentent de tirer leur épingle du jeu. Le sous-genre le plus connu est le cyberpunk dont l'œuvre-phare est le Neuromancer de William Gibson, alors qu’un film comme La matrice, avec ses humains sous incubateurs qui vivent une réalité entièrement virtuelle, pousse le concept à ses extrémités.
Le problème aujourd’hui, c’est que la société se dirige dangereusement vers des scénarios qui ressemblent aux dystopies de la science-fiction, à tel point qu’on envisage même dans la presse bourgeoise la fin de la démocratie aux États-Unis et que les réseaux sociaux sont devenus des lieux de désinformations tels qu’il y existe, littéralement, un envers de la réalité qui se retourne contre nous : conspirationnisme, intelligence artificielle, crypto monnaies, trolls professionnels et mensonge généralisé. Naomi Klein, dans son récent livre Doppelganger, en fait un épeurant tour d’horizon.
C’est dans ce contexte qu’on a vu apparaître dans les années récentes le sous-genre du hopepunk, qui présente, selon les mots d’une encyclopédie en ligne, des personnages « fighting for positive change, radical kindness, and communal responses to challenges » ; ce qui, on doit le dire, tranche avec l’ambiance de déprime et d’engourdissement actuelle, où nous sommes tétanisés par la montée de l’extrême-droite et des changements climatiques, qui semblent maintenant inéluctables alors que, comment dire, il faudrait les combattre vigoureusement.
Le mot punk revole de tous les bords dans le sillage du livre, et si l’autrice a fini par revendiquer le terme pour son style, il s’agit quand même d’un contresens arrivé alors que la discussion dérivait. Cette acceptation de punk, qui renvoie à son sens originel, n’est possible que parce qu’elle détonne dans le contexte d’une politique institutionnelle extrêmement platte et conformiste, et d’injonctions morales étouffantes au possible.
Les meilleurs passages du livre sont ceux où elle raconte des épisodes auxquels on aura assisté dans l’envers de la réalité médiatique, et qu’on relit maintenant du point de vue de celle qui les vécus dans sa peau, dans toutes les fibres de son être, se montrant dans une grande vulnérabilité :
la fois où elle braillait en petite boule dans son lit et qu’elle fut sommée de pointer au salon bleu parce que le gouvernement passait une loi sous le bâillon et qu’il était super important d’aller se montrer à défaut de pouvoir quoi que ce soit ;
la fois où elle espérait prendre sa journée pour préparer sa prestation à Tout le monde en parle et qu’encore une fois on l’a sommée de rentrer au travail, alors elle a pris ce qu’elle avait sous la main - un coton ouaté - et le reste est devenu légende ;
la fois où il y avait un congrès à Montréal mais c’était sa fin de semaine avec ses filles, alors elle a pris prétexte d’une élection partielle à Québec pour rester avec elles et tout le commentariat politique a dit qu’elle se cachait ;
et la naissance de sa dernière, avec un trou dans le cœur, opérée dans le temps de fêtes, au plus creux des restrictions de la covid, avec le couvre-feu et tout le protocole à l’hôpital.
Elle voulait être députée pour changer le monde. Pour faire l'indépendance. Lutter contre les changements climatiques. Pour un Québec inclusif et respectueux de ses minorités. Pour faire lever un mouvement social. Catherine est une hippie, elle souhaite mettre à terre l’orthodoxie sociale et politique, elle aime la nature et les partys, elle cherche à retrouver ce qu’il y a d’humain en nous et ce qu’il y a de commun dans notre société, dans l’espoir un peu fou, n’est-ce pas, de la transformer pour le mieux.
Hopepunk, donc.
4.
Il est vraiment ironique qu’à son arrivée , alors qu’elle sollicitait l’investiture de Taschereau, ses adversaires au sein même du parti l’ait dépeinte comme une outsider, alors qu’une fois élue, elle ait embrassée un credo au coeur même de l’identité de QS, soit de faire de faire de la politique autrement. Elle considérait que son siège au parlement devait servir à étendre le mouvement qui l'avait portée.
Et donc s’est mise à faire plein d’affaires.
Le film Renouer. Les partys thématiques à son bureau de comté. La Saint-Jean de Sol et Catherine au Lac Simon. La campagne Liberté d’oppression pour dénoncer la propos haineux, l’intimidation et la désinformation dans certains médias du Québec. Les rassemblements militants contre le troisième lien et en faveur du tramway, qui ont fait salle comble. Un podcast. Tsé, la fois avec Safia Nolin ?
Elle a pointé présente dans les luttes de son comté. Pour l’indice de défavorisation de l’école Des Berge. Dans la bataille pour Le Soleil et les coop de l’info. Dans celle pour le profil général à Cardinal Roy. Elle a travaillé contre la destruction du patrimoine, pour un urbanisme à échelle humaine, pour le contrôle des GAFAM, pour l’indépendance. Elle en parle ici, et là.
Elle faisait des vidéos. Sur la solitude - son premier discours à l’Assemblée Nationale, avec le t-shirt de Patrice Desbiens. Pour la communauté musulmane, quand elle était proie au racisme. Sur le système de santé quand son bébé a été opéré. Une série « Gens de Taschereau » qui donnait la voix aux personnes. Elle a lu des témoignages d’artistes, de jeunes, de vieux, du personnel soignant. C’est tout ici.
Faque ouin, il y a de quoi se brûler.
Mais c’était le fun en crisse.
Le mandat de Catherine fut une aventure politique non-pareille, réellement unique, et ce livre, qui est par ailleurs très bien écrit, est passionnant. La réception médiatique a beaucoup insisté sur la rigidité du système et la fatigue, mais je me souviens de ces quatre années comme lumineuses et bariolées. Un « gauchisme de carnaval » comme le déplorait Mathieu Bock-Côté, dans une formule finalement plutôt heureuse : c’était bien d’un renversement des codes dont il était question, et d’un éclatement des formes.